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19/11/2009

Loi des finances 2010, intervention de Jean-michel BAYLET

Intervention d'aujourd’hui, jeudi 19 novembre 2009, au Sénat


Monsieur le Président,

Madame le Ministre,

Mes chers collègues,



La crise dans laquelle est installé notre pays depuis plus d’un an est, certes, moins spectaculaire qu’à ses débuts. Les grandes faillites bancaires, de Bern Stern à Lehman Brothers, qui ont plongé le monde dans le souvenir de la grande dépression de 1929, semblent dernière nous. Les banques se sont refaites une santé. Avec indécence -parfois- lorsque l’on voit qu’elles sont retournées très vite à leur activité favorite, la spéculation, tandis que des dizaines de milliers d’entreprises continuent à mettre la clé sous la porte faute de liquidités pour survivre.

Malgré quelques prévisions optimistes de retour à la croissance, ne nous voilons pas la face, mes chers collègues ! De bons indices boursiers ne sont pas forcément le signe d’une véritable reprise mais plutôt, une fois encore, le reflet du décrochage entre la finance et l’économie réelle.

Car la réalité quotidienne de nos concitoyens est bien, hélas, en rapport avec un PIB en recul de 2,1% en 2009. Le chômage qui pourrait bientôt atteindre le chiffre inquiétant de 10%, et la pauvreté qui gagne du terrain en particulier chez les jeunes, attestent d’une crise profonde et durable.

Si cette récession est moins grave pour la France que pour la zone euro dont la chute du PIB avoisine les 4%, elle plus grave que celles de 1993 et 1975.

Le plan de relance, sans doute nécessaire pour juguler la crise à court terme, s’avère néanmoins insuffisant pour redresser plus fortement la consommation et entraîner une véritable reprise.

Dans ce contexte, il faut bien l’avouer, l’exercice budgétaire est difficile ! L’Etat de nos finances publiques est déplorable : l’ensemble des déficits publics devraient atteindre 8,5% du PIB en 2010. Le Pacte de stabilité est un vieux souvenir même si Bruxelles risque de bientôt le rappeler à notre mémoire ! Le déficit français se rapproche de ceux de l’Irlande, de l’Espagne et du Royaume-Uni qui oscillent entre 9 et 10%.

Certes, la situation est exceptionnelle et nous savons bien, mes chers collègues, distinguer ce qui relève du conjoncturel de ce qui relève du structurel. Mais nous voyons bien aussi, en tout cas dans l’opposition, qu’au-delà des plans particuliers de relance, le pilotage plus classique de notre économie par des choix fiscaux pertinents, peine à convaincre et ne concourre pas à améliorer la situation. Bien au contraire !

Pour l’essentiel, la politique du gouvernement consiste, depuis la loi TEPA, à faire des cadeaux fiscaux à ceux qui n’en n’ont pas vraiment besoin, et à prétexter la RGPP pour lutter contre les déficits. Avec une économie de 500 millions par an, il va falloir beaucoup de temps pour rattraper les 140 milliards d’euros de déficit du budget 2009. A moins que vous ne supprimiez les écoles, les hôpitaux et les élus qui coutent chers -prétendez-vous-, la RGPP ne sera pas le sésame du retour à un déficit soutenable pour notre
pays.

Alors, puisqu’il faut bien trouver des solutions pour relancer la croissance, le Président de la République a soudainement annoncé, en février dernier, la suppression de la TP.

Et nous y voilà puisque l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010 jette les bases des deux nouvelles taxes de substitution à la TP, la cotisation locale d’activité et la cotisation complémentaire.

Vous l’avez rappelé Madame le Ministre, la réforme de la taxe professionnelle est présentée comme une nouvelle étape de votre politique de soutien à l’investissement et à l’emploi. La disparition de ce prélèvement serait une réponse aux délocalisations. Ceci est faux. Nous savons très bien que les délocalisations sont motivées par la recherche de salaires bas dans des pays qui n’ont aucunes exigences sociales pour leurs travailleurs. En France, les entreprises considèrent les charges sociales, avant tout, comme le principal frein à leur développement. S’agissant de la taxe professionnelle, depuis les réformes Juppé et Strauss-Kahn, les entreprises comprennent bien que ce prélèvement a aussi une fonction économique qui leur revient, indirectement, par les investissements que les collectivités locales font en matière d’infrastructures routières, de formation ou de haut débit par exemple.

Alors, mes chers collègues, est-il bien opportun de programmer une telle réforme dans le contexte économique que j’ai rappelé? La crise a fortement mobilisé les collectivités locales qui ont pris part aux politiques de relance. Nous qui sommes sur le terrain avons besoin aujourd’hui plus que jamais de sérénité et de clarté pour exercer nos responsabilités. Or, même si les débats parlementaires lèvent progressivement le voile sur la réforme de la TP, bien des incertitudes demeurent.

La commission des finances tente un compromis pour calmer la grogne issue de tous les rangs, de droite comme de gauche. Mais votre gouvernement s’entête, Madame le Ministre, à vouloir faire passer coûte que coûte, au forcing, une réforme rejetée de toute part. Il reste sourd aux messages des parlementaires de tous horizons qui relaient pourtant le désarroi de milliers d’élus locaux. Les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux l’ont encore rappelé cette semaine à Paris à l’occasion du 92ème Congrès des maires de France : ils s’opposent aux dispositions prévues dans le cadre du projet de loi de finances parce qu’elles ne sécurisent pas les ressources de toutes les collectivités, parce qu’elles ne règlent pas la question des dépenses de solidarité, ni pour le passé, ni pour l’avenir, parce qu’elles portent atteinte à l’autonomie fiscale des départements et parce qu’elles transfèrent sur les ménages le
poids de l’impôt.

Sur le principe d’autonomie financière, vous le savez, la suppression de la TP heurte la Constitution. Ce projet fait peu de cas de l’article 72-2 introduit par la réforme du 28 mars 2003. En effet, le dispositif de
remplacement de la TP va déplacer le niveau de la fameuse part prépondérante.

Certes, la TP va être partiellement compensée par le produit de la nouvelle taxe, la CET.

Mais sur les 22,6 milliards, il manque toujours 9,8 milliards.
Pour nous le rendre, le gouvernement a donc choisi l’option des ressources transférées par l’Etat : Frais d’assiette et de recouvrement, Frais d’admission en non-valeur, DMTO, TSCA, Tascom, Dotations budgétaires.

Autant dire que le gouvernement a fait le choix d’une recentralisation en nous ramenant sous le régime des dotations budgétaires, c’est-à-dire d’une époque qui était révolue depuis les lois de décentralisation.

De surcroît, nous sommes en pleine contradiction avec le principe de la libre administration des collectivités locales. Car, la multiplication des dotations porte atteinte au pouvoir fondamental des collectivités de fixer et de prélever librement l’impôt.

J’ajoute que ce dispositif entraîne une rupture du lien contractuel entre les citoyens et leurs collectivités. Cette recentralisation nuit donc au pacte qui soude les individus et leurs territoires. En l’occurrence, la suppression de la TP brise aussi le lien fiscal entre les entreprises et la collectivité.

De plus, s’agissant des dotations, n’oublions pas que ce ne sont pas des recettes actives, et la suppression d’une recette dynamique va priver les collectivités d’un levier fiscal indispensable pour impulser des actions économiques locales.

Enfin, les dotations sont une source d’incertitudes pour les collectivités. Comment allons-nous boucler nos prochains budgets ? Comment croire que la compensation sera intégrale quand on pense aux promesses de compensation à l’euro près, affirmées au moment de chaque nouveau transfert de compétences mais jamais tenues dans les faits…

D’autant que l’Etat s’est bien gardé de prévoir la montée en charge de dispositif tels que le RSA, dont la gestion combinée à celle du RMI, a généré un milliard d’euros supplémentaire de dépense entre 2003 et
2007, ou encore l’APA, dont la charge financière progresse de 8% par an.
Dans le passé, vous le savez très bien, Madame le Ministre, l’Etat n’a pas tenu ses engagements. Alors, pourquoi, le ferait-il aujourd’hui ou demain ?


Mes chers collègues, tout le monde ici ne partage pas la même sensibilité, les mêmes opinions, les mêmes idées. C’est ce qui fait d’ailleurs la richesse de notre démocratie. Pourtant, un consensus s’est dégagé pour estimer que la réforme de la taxe professionnelle telle qu’elle est proposée, porte gravement atteinte aux équilibres institutionnels. En effet, en affaiblissant le lien avec les citoyens, en mettant les collectivités locales sous tutelle, en détruirant leur autonomie fiscale, le gouvernement fait des choix profondément anti-républicains. C’est la raison pour laquelle cette réforme ne recueillera pas mon soutien ni celui de mes collègues radicaux de gauche. Nous les combattrons pied à pied.

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